« Adieu les cons » d’Albert Dupontel

Adieu les cons : bonjour le cinéma

Après Au revoir là-haut, pour l’instant, seule adaptation littéraire de son oeuvre, qui lui a valu une belle moisson de César en 2018 (cinq au total, dont celui du meilleur metteur en scène et de la meilleure adaptation), Albert Dupontel revient à ses petits cartoons sociaux, pleins de rage anarchiste, d’enfants abandonnés et de réalisation azimutée. Pourtant quelque chose a incontestablement changé dans son cinéma, un changement d’ailleurs amorcé depuis Neuf mois ferme. La révolte se teinte désormais de désespoir non feint ; les sentiments, voire un certain romantisme, font leur apparition, engendrant des larmes qui ne cherchent plus à se cacher derrière le masque de l’histrionisme. Au revoir là-haut montrait ainsi le long chemin qu’il a fallu pour réconcilier un père homme d’affaires et son fils artiste. Adieu les cons demeure une comédie parfaitement jubilatoire mais sous un autre éclairage, les éclopés de la vie sur lesquels se penche Dupontel pourraient prendre une dimension tragique qui perce de temps à autre, donnant une nouvelle ampleur à son cinéma. 

En montrant ces gens broyés par le système, ces Pieds Nickelés qui ne se laissent néanmoins jamais abattre par le découragement, Dupontel parvient à faire d’une comédie étourdissante un film éminemment politique et revendicatif,

Suze Trappet, jolie coiffeuse de quarante ans, apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable. Elle se fixe alors pour but ultime de retrouver l’enfant qu’elle a abandonné une vingtaine d’années auparavant, sous la procédure d’accouchement sous X.  En faisant sa demande de recherche, elle se retrouve embarquée par hasard dans la cavale de JB, cadre suicidaire, qui vient d’apprendre qu’il n’obtiendrait pas le poste qu’il convoitait depuis de longues années. Leur fuite éperdue, accompagnée d’un archiviste aveugle, les conduira vers des péripéties improbables.

Albert Dupontel représente un cas à part dans le cinéma français contemporain. Il est sans doute le seul acteur français à avoir créé une véritable oeuvre et à être devenu l’un des meilleurs metteurs en scène existant dans le pays, à la fois sur le plan technique (le rythme toujours impeccable de ses films, la virtuosité échevelée de ses mouvements de caméra) et thématique (la révolte contre le système, la quête de filiation, la défense des petites gens). Or d’où vient Albert Dupontel? Pas vraiment de la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais réellement intéressé. Dans le cinéma français, il se rapprocherait davantage d’un certain réalisme poétique, celui de Carné, Duvivier, Renoir, voire plus récemment de la fantaisie d’un Jean-Pierre Jeunet ou de la truculence d’un Bertrand Blier. Parmi ses cousins possibles de cinéma, on pourrait le comparer à ses collègues Kervern et Delépine qu’il aime à retrouver en tant qu’acteur, ou Quentin Dupieux pour l’originalité irréductible du regard. Néanmoins ses véritables racines se trouvent peut-être davantage du côté du cinéma anglo-saxon, le côté politico-social-humaniste d’un Chaplin, le surréalisme des Monty Python (le regretté Terry Jones auquel Adieu les cons est dédié, Terry Gilliam dont il révère Brazil, qui fait une apparition régulière dans les films de Dupontel, un chasseur dans Adieu les cons), le sens de la critique sociale du Verhoeven américain (RobocopStarship TroopersShowgirls), la virtuosité stylistique des frères Coen (Arizona Junior).

Adieu les cons demeure certes une comédie parfaitement jubilatoire mais sous un autre éclairage, les éclopés de la vie sur lesquels se penche Dupontel pourraient prendre une dimension tragique qui perce de temps à autre, donnant une nouvelle ampleur à son cinéma.

Adieu les cons, en résumé, pour la forme, ce pourrait être en fait des personnages de Ken Loach (une coiffeuse, un cadre quinquagénaire) filmés par la caméra des frères Coen qui les transformerait en figures tragico-comiques pour des cartoons de Tex Avary. Ou comme le résume Dupontel sur le fond : « la rencontre entre quelqu’un qui voudrait vivre mais qui ne peut plus et quelqu’un qui pourrait vivre et ne veut pas« . Dupontel en profite pour orchestrer une mise en scène au cordeau, avec des mouvements de caméra d’une folie et d’une originalité absolument réjouissantes, manifestant une énergie dévastatrice de tous les instants. Dupontel ne s’attarde pas, ce n’est pas le genre de la maison : 1 h 26 pour un film qui semble en contenir dix et va à plus de 200 à l’heure. Il y stigmatise des cibles d’actualité qui n’en sont pas moins éternelles, les perturbateurs endoctriniens, l’hyper-technologie d’un monde déshumanisé, les institutions (police, justice, administration) qui fonctionnent à rebours du bon sens, la culture du jeunisme. Pourtant l’immense différence par rapport à ses quatre premiers films, réside dans le fait qu’auparavant, dans le cinéma du Dupontel, les personnages étaient décalés dès le départ, alors que, depuis Neuf mois ferme, ce sont des gens ordinaires que la société finit par exclure : une coiffeuse en quête d’une maternité disparue (Virginie Efira, épatante d’émotion), un cadre suicidaire qui va finir recherché par la police (Dupontel lui-même), un handicapé remisé au fond d’un sous-sol (Nicolas Marié, grand candidat pour le César du meilleur second rôle). 

En montrant ces gens broyés par le système, ces Pieds Nickelés qui ne se laissent néanmoins jamais abattre par le découragement, Dupontel parvient à faire d’une comédie étourdissante un film éminemment politique et revendicatif, ce qui n’est pas une moindre prouesse. Le hasard fait qu’après Les Misérables de Ladj Ly, Adieu les cons présente également un tir de flashball qui fonctionne en écho par rapport à l’histoire politique récente. Comment le monde rejette l’humanité des gens, c’est en filigrane le vrai sujet d’Adieu les cons. Le désespoir est toujours présent mais il ne faut pas que cela empêche de danser sur Mala Vida de La Mano Negra, chanson sur laquelle se clôt le film. Chez Dupontel, la révolte se révèle indissociable du désespoir mais également de la joie de vivre. 

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RÉALISATEUR : Albert Dupontel
NATIONALITÉ : français
AVEC : Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié
GENRE : Comédie
DURÉE : 1h27
DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution
SORTIE LE 21 octobre 2020, ressortie le 19 mai 2021